Conclusions de l’oeuvre de l’abbé Fleury

Nous invitons le lecteur désireux d’en savoir plus sur le christianisme de lire l’ouvrage de l’abbé Fleury, « les mœurs des Israélites et des chrétiens ». Voici les conclusions de son magnifique livre.

« Suivant de si grandes autorités, j’ai cru qu’il était bon de représenter à tout le monde quelles ont été et quelles doivent être les mœurs des chrétiens. Je n’ai rien dit ici qui ne soit familier aux gens de lettres, et tiré des livres qu’ils ont entre les mains ; ils verront même que j’en ai beaucoup omis. Mais la plupart de ces faits ne sont pas assez connus du commun des fidèles, et les peuvent édifier. Ils verront qu’il ne faut pas réduire la religion chrétienne à de simples pratiques, comme plusieurs croient. Faire quelque petite prière, le soir ou le matin, assister le dimanche à une messe basse, ne distinguer le carême que par la différence des viandes, et s’en dispenser sur de légers prétextes ; ne s’approcher des sacrements que rarement, et avec si peu d’affection, que les fêtes les plus solennelles deviennent des jours fâcheux et pénibles ; vivre au reste autant occupés des affaires ou des plaisirs sensibles, que des païens pourraient l’être : ce ne sont pas là les chrétiens que j’ai tâchés de dépeindre.

Peut-être aussi que quelques-uns de ceux qui se sont séparés de nous, sous prétexte de réformation, verront ici que leur schisme est mal fondé, que la primitive Église n’était pas telle qu’ils se l’imaginent, et que nos maximes sont autres que l’on ne leur fait entendre. Ils verront que leurs réformateurs ont trop légèrement condamné des pratiques très anciennes ; comme la communion sous une espèce, la vénération des reliques et des images, la prière pour les morts, l’abstinence de certaines viandes, le vœu de continence, la vie monastique ; et que sous prétexte d’ôter des superstitions, ils ont introduit un christianisme grossier, où l’on ne voit personne qui embrasse les conseils de l’Évangile, et où les préceptes mêmes ne sont pas mieux observés que parmi ceux dont ils se sont séparés.

Enfin, j’espère que la vue de ces mœurs si saintes, pourra faire quelque impression sur ceux qui sont assez aveuglés pour confondre la vraie religion avec les fausses, que l’erreur ou la mauvaise politique a introduites. Si quelqu’un d’eux fait réflexion sur les grands changements que l’Évangile a produits dans les mœurs de toutes les nations, et sur la différence qu’il y a toujours eue entre les vrais chrétiens et les infidèles, il verra que le christianisme a des fondements plus solides qu’il ne pensait ; et qu’il faut croire qu’il s’est établi par de grands miracles, puisqu’il serait encore plus incroyable qu’un tel changement fût arrivé sans miracles. Ces miracles avaient fait une si forte impression, que l’on ne s’est avisé que bien tard de les révoquer en doute. Pour parler de ce que nous connaissons distinctement, il n’y a guère plus de trois cents ans, que quelques Italiens, gens d’esprit, mais très ignorants de la religion, étant choqués de plusieurs abus qu’ils avaient devant les yeux, ont introduit ce libertinage. Charmés de la beauté des anciens auteurs grecs et latins, et de ce qu’ils y apprenaient de la politique de ces peuples et de leur manière de vivre, ils ne pouvaient rien goûter hors de là, d’autant plus que les maximes de ces anciens s’accordaient mieux que les nôtres avec la corruption du cœur humain, et les mœurs du commun des hommes.

Les nouvelles hérésies ont augmenté ce mal. Les disputes sur les fondements de la religion, ont ébranlé ou détruit la foi en plusieurs, qui n’ont pas laissé de continuer, par divers motifs temporels, à professer extérieurement la religion catholique ; et chez les hérétiques, le nombre a été bien plus grand de ceux qui, n’étant plus arrêtés par aucune autorité, ont poussé jusqu’au bout les conséquences de leurs mauvais principes, et en sont venus à ne savoir que croire, et à regarder la religion comme une partie de la politique. Cette malheureuse doctrine s’est aisément étendue. Les jeunes gens ayant ouï leurs pères ou ceux qui leur paraissaient gens d’esprit, faire quelque méchante raillerie sur la religion, ou même leur dire sérieusement qu’elle était sans fondement, s’en sont tenus là, sans approfondir davantage, trouvant ces maximes plus conformes à leurs passions. On se flatte par la vanité de se distinguer du vulgaire ignorant, et de s’élever au-dessus de la simplicité de nos pères. La paresse trouve aussi son compte à demeurer dans le doute, ou à décider au hasard sans se donner la peine d’examiner. Mais que l’on dise ce que l’on voudra, les faits qué j’ai posés demeureront constants, et il sera toujours vrai, comme dit si souvent Origène contre Celse, que Jésus-Christ a réformé le monde, et l’a rempli de vertus inconnues jusqu’alors.

Voilà ce que j’avais à dire touchant les mœurs des Israélites et des chrétiens. Voilà l’extérieur de la vie des fidèles de l’ancien et du nouveau Testament. Dans le premier discours, on peut voir, ce me semble, meilleur usage des biens temporels, et la manière la plus raisonnable de passer la vie que nous menons sur la terre. Dans le second discours, j’ai voulu montrer quelle est la vie de ceux dont la conversation est dans le ciel et qui, étant encore dans la chair, ne vivent que selon l’esprit ; cette vie toute spirituelle et toute surnaturelle, qui est l’effet propre de la grâce de Jésus-Christ. Trop heureux si à l’occasion de cet écrit, quelqu’un prenait une idée véritable de la vie raisonnable et chrétienne, et s’appliquait sérieusement à la pratiquer ! »

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Un parallèle édifiant entre la chute de la civilisation romaine et la nôtre

L’abbé Fleury résume de manière brillante, dans son ouvrage « les mœurs des Israélites et des chrétiens » (seconde partie, chapitre LVI), la chute de Rome. Or, nous retrouvons exactement les mêmes causes dans notre civilisation que celles qui ont contribuées à l’anéantissement de l’empire romain. Nous devrions y réfléchir sérieusement.

« Cependant le commun des païens se corrompait toujours de plus en plus. Tout ce que j’ai marqué des vices qui régnaient quand l’Évangile parut, durait encore ; et hors le peu d’esprits forts et de philosophes dont je viens de parler, il ne restait plus rien de bon chez les Grecs ni les Romains, qui pût servir de contre-poids. Aussi fut-ce alors que l’empire tomba en Occident, et il ne se soutint en Orient que jusqu’au temps où il fut violemment attaqué. Il n’y avait plus ni discipline dans les troupes, ni autorité dans les chefs, ni conseils suivis, ni science des affaires, ni vigueur dans la jeunesse, ni prudence dans les vieillards, ni amour de la patrie et du public. Chacun ne cherchait que son plaisir et son intérêt particulier, ce n’était qu’infidélités, que trahisons. Les Romains amollis par le luxe et l’oisiveté, ne se défendaient contre les Barbares, que par d’autres Barbares qu’ils soudoyaient ; ils étaient abîmés dans les délices, et se piquaient d’une mauvaise délicatesse, que rien de solide ne soutenait. Enfin la mesure de leurs crimes et de leurs abominations étant comblée, Dieu en fit la justice exemplaire qu’il avait prédite par saint Jean : Rome fut prise et saccagée plusieurs fois par les Barbares ; le sang de tant de martyrs dont elle s’est enivrée, fut vengé ; l’empire d’Occident demeura en proie aux peuples du Nord, qui y fondèrent de nouveaux royaumes. Voilà les vraies causes de la chute de l’empire romain, non pas l’établissement de la religion chrétienne, comme les païens disaient alors, et comme Machiavel et les autres politiques impies et ignorants ont osé dire dans les derniers temps.

Les chrétiens vivant au milieu d’une nation si perverse et profondément corrompue, je veux dire de ces derniers Romains, il était difficile que leur vertu n’en souffrît quelque déchet, principalement n’étant plus divisés d’avec les infidèles, comme du temps des persécutions, et n’ayant à se défendre que de leur amitié et de leurs caresses. Il ne faut donc pas s’étonner des vices que les Pères reprochent aux chrétiens dès le quatrième siècle. Saint Augustin ne feignait point d’en avertir les païens qui voulaient se convertir, afin qu’ils en fussent moins surpris, et par conséquent moins scandalisés. Vous verrez, dit-il, dans la foule de ceux qui remplissent les églises matérielles, des ivrognes, des avares, des trompeurs, des joueurs, des débauchés, des gens adonnés aux spectacles ; d’autres qui appliquent des remèdes sacrilèges, des enchanteurs, des astrologues, des devins de diverses sortes ; et tous ces gens ne laissent pas de passer pour chrétiens. Il avoue de bonne foi aux manichéens, qu’il y en avait qui étaient superstitieux, même dans la vraie religion ; ou tellement adonnés aux passions, qu’ils oubliaient ce qu’ils avaient promis à Dieu. Il en parle encore souvent dans les ouvrages qu’il a écrit contre les donatistes, où il leur prouve si bien que l’ivraie doit demeurer avec le bon grain dans l’église jusqu’au temps de la moisson, c’est-à dire du jugement. Il condamne ailleurs l’injustice de ceux qui louaient ou blâmaient en général tous les chrétiens, ou tous les moines, selon le bien ou le mal qu’ils voyaient dans quelques particuliers. On trouvera des preuves semblables du relâchement des chrétiens dans saint Chrysostôme, et dans les autres Pères de ces temps-là.

À quoi donc servaient, dira-t-on, les pénitences publiques et les excommunications ? À purger l’Église de quantité de vices, mais non pas de tous. Pour imposer la pénitence il fallait que le pécheur la demandât, ou du moins qu’il s’y soumît. Il fallait donc qu’il confessât son péché, soit en se venant dénoncer lui-même, soit en acquiesçant lorsque d’autres l’accusaient. L’excommunication n’était que pour ceux qui n’acceptaient pas la pénitence, quoiqu’ils fussent convaincus ou par leur propre confession, ou par des preuves juridiques, ou par la notoriété publique. Encore les évêques prudents et charitables, ne se hâtaient pas d’en venir à cette dernière extrémité. Ils n’excommuniaient point les pécheurs, lorsqu’ils les voyaient si puissants, ou en si grand nombre, qu’il y a moins d’espérance de les corriger que de crainte de les aigrir et de les porter au schisme.

Ils employaient envers la multitude les instructions et les avertissements, et n’usaient de sévérité qu’envers les particuliers. Mais auparavant ils avertissaient souvent le pécheur convaincu et impénitent, du péril effroyable où il était ; ils l’exhortaient à en sortir, n’épargnant point les menaces, pour vaincre sa dureté ; ils gémissaient pour lui devant Dieu, et mettaient en prières toute l’Église ; ils espéraient et attendaient longtemps, imitant la patience et la longanimité du Père des miséricordes. Enfin ce n’était qu’après avoir épuisé toutes les inventions de leur charité, qu’ils en venaient à ce triste remède, avec la douleur d’un père, qui, pour sauver la vie à son fils, se verrait obligé à lui couper un bras de ses propres mains. On peut voir sur ce sujet le discours de saint Chrysostôme, sur l’anathème.

Mais pour ceux dont les crimes demeuraient cachés, soit qu’ils ne fussent connus que de Dieu, soit qu’il fût impossible de les en convaincre, il n’y avait point de remède. On ne pouvait leur défendre l’entrée de l’église, ni même la participation des sacrements, s’ils étaient assez impies pour ne pas craindre des sacrilèges. Les persécutions étaient des épreuves sûres, pour discerner la paille d’avec le grain ; mais quand elles eurent cessé, l’hypocrisie pouvait durer jusqu’à la mort. Cependant, ces chrétiens faibles et corrompus faisaient grand tort à l’Église par leurs mauvais discours, et leur mauvais exemples, surtout dans leurs familles. Ils instruisaient mal leurs enfants, qu’ils ne laissaient pas de faire baptiser ; et le défaut d’instruction domestique était de grande conséquence dans ces premiers siècles, où nous ne voyons point que l’on fît publiquement de catéchismes pour les enfants baptisés. »

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La bonté de la sainte Église

D’affreux clichés accusant la sainte Église de tous les maux circulent dans les médias et les ouvrages ésotériques. Pourtant, il n’y a rien de plus faux. Lisons ce qu’en dit l’abbé de Fleury dans son ouvrage « les mœurs des Israélites et des chrétiens » (seconde partie, chapitre XLVII).

« L’autorité des empereurs fit tomber la plupart des anciennes hérésies, en leur défendant de s’assembler et ordonnant la recherche de leurs livres. Sous les empereurs païens, les catholiques n’avaient pas plus de liberté que les hérétiques, car les païens ne les distinguaient pas, ils méprisaient et persécutaient également tout ce qui portait le nom de chrétiens. Mais depuis les lois de Constantin et ses successeurs, ils n’osaient s’assembler ni publiquement ni secrètement, étant partout observés par les évêques. Ainsi la plupart se réunirent à l’Église, ou de bonne foi, ou par dissimulation, nonobstant le soin que prenaient les évêques de les discerner ; et ceux qui demeurèrent opiniâtres, moururent sans laisser de successeurs de leur doctrine : car la plupart de ces sectes étaient peu nombreuses, à cause de l’absurdité de leurs dogmes et des mauvaises mœurs de ceux qui en faisaient profession. Il ne fut donc plus mention de valentiens, de gnostiques, de marcionites et des autres sectes plus obscures. Les manichéens furent ceux qui durèrent le plus longtemps, nonobstant la peine de mort ordonnée contre eux. Les ariens, du temps de Constantin, ne faisaient pas encore un corps à part ; et sous ses successeurs, ils ne trouvèrent que trop de protection. Car en général l’hérésie n’étant qu’une invention humaine, ne peut soutenir longtemps la persécution.

Quoique l’Église n’ait pas besoin de la puissance temporelle, elle n’en rejette pas le secours. Les évêques trouvaient bon que les princes chrétiens punissent les hérétiques d’exil ou d’amendes pécuniaires, du moins pour les intimider, mais on épargnait leur sang. La règle était générale, que l’Église ne poursuivait jamais la mort de personne. Elle eut horreur de la conduite de l’évêque Ithace, qui procura la mort de l’hérésiarque Priscillien ; et nous avons plusieurs lettres de saint Augustin, pour demander aux magistrats, la grâce des circoncellions, espèce de donatistes, convaincus de violences horribles exercées contre les catholiques, jusqu’à des meurtres. Il dit que l’on déshonorerait leurs souffrances en faisant mourir ceux qui leur ont donné la gloire du martyre ; et que si on ne veut imposer d’autres peines à ces coupables, on réduira l’Église à n’oser en demander justice. Toutefois, les évêques n’obtenaient pas toujours la grâce de leurs ennemis, non plus que des autres criminels ; et les princes faisaient quelquefois exécuter à mort les hérétiques pour maintenir la tranquillité de l’État. »

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La beauté d’une église élève l’âme humaine

La beauté du catholicisme élève l’âme tandis que la laideur des hérésies la rabaisse, c’est un mécanisme bien connu qui, hélas, est aujourd’hui oublié. Les statues laides et diffamatoires deviennent une habitude dans l’art contemporain, ce principe de laideur a toujours été utilisé contre la sainte Église. Nous sommes dans les temps de retour à la barbarie, c’est un fait indéniable, sauf pour les aveugles. Lisons l’extrait de l’ouvrage de l’abbé Fleury « les mœurs des Israélites et des chrétiens » (seconde partie, chapitre XXXVIII)

« En effet, quoique la religion chrétienne soit toute intérieure et toute spirituelle, les chrétiens sont des hommes qui ressentent comme les autres les impressions des sens et de l’imagination. On peut dire même que la plupart n’agissent et ne vivent que par là. Car combien peu y en a-t-il qui s’appliquent aux opérations purement intellectuelles ; et ceux-là même combien en sont-ils détournés ? Il faut donc aider la piété par les choses sensibles. Si nous étions des anges, nous pourrions prier également en tous lieux, au milieu d’un marché, ou d’une rue passante, dans un corps-de-garde, dans un cabaret plein de tumulte et de débauche, dans le cloaque la plus infecte. Pourquoi fuyons-nous tous les lieux où nous nous trouvons dissipés et incommodés, sinon pour aider la faiblesse de nos sens et de notre imagination ? Ce n’est pas Dieu qui a besoin de temples et d’oratoires, c’est nous. Il est également présent en tous lieux, et toujours prêt à nous écouter, mais nous ne sommes pas toujours en état de lui parler. Il est donc inutile de consacrer des lieux particuliers à son service, si on ne les met en état de nous inspirer la piété.

Supposons, par exemple, ce que nous ne voyons que trop par la négligence des derniers temps ; supposons, dis-je, une église si mal située, qu’on y entende le bruit d’une grande rue ou d’une place publique, et si sale que l’on ne sache où se placer, ni où se mettre à genoux ; supposons encore qu’elle soit pleine d’un grand peuple, en sorte que ceux qui veulent prier soient continuellement poussés et foulés aux pieds par les passants, et continuellement interrompus par des enfants, et des mendiants de toutes sortes. Ajoutez que les yeux ne soient frappés que d’objets désagréables, de murailles enfumées, de tableaux poudreux, et placés à contre-jour, de statues mal faites ou mutilées, et d’autres mauvais ornements ; ajoutons enfin, pour assembler tout ce qui choque les sens, de mauvais encens et des voix discordantes qui chantent une méchante musique : il serait plus facile de prier avec attention en pleine campagne ou dans une maison déserte que dans une telle église. Au contraire, si l’on en trouve une bien bâtie, propre, tranquille, où le peuple soit arrangé, où un clergé bien réglé fasse l’office avec grande modestie, on sera porté à entendre cet office avec attention, et à prier du cœur en même-temps que de la langue.

Les saints évêques des premiers siècles avaient observé tout cela. Ces saints étaient des Grecs et des Romains, souvent grands philosophes, et toujours bien instruits de toute sorte de bienséance. Ils savaient que l’ordre, la grandeur et la netteté des objets extérieurs excitent naturellement des pensées nobles, pures et bien réglées, et que les affections suivent les pensées, mais qu’il est difficile que l’âme s’applique aux bonnes choses, tandis que le corps souffre, et que l’imagination est blessée. Ils croyaient la piété assez importante pour l’aider en toutes manières. Ils voulaient donc que l’office public, particulièrement le saint sacrifice, fût célébré avec toute la majesté possible, et que le peuple y assistât avec toute sorte de commodité, qu’il aimât les lieux d’oraison, et gardât un profond respect.Toutefois ils savaient bien en bannir le faste séculier, le luxe efféminé, et tout ce qui peut amollir les cœurs et frapper dangereusement les sens ; ils ne voulaient pas les flatter, mais s’en aider. Tout ceci s’entendra mieux en décrivant la liturgie toute entière. »

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Les martyrs des chrétiens

Les romains furent terriblement cruels envers les chrétiens comme l’explique l’abbé Fleury dans son indispensable ouvrage « les mœurs des Israélites et des chrétiens » (seconde partie, chapitre XVIII, XIX, XX et XXI).

« Il n’est pas merveilleux que cette haine publique attirât aux chrétiens des persécutions ; mais peut-être quelqu’un s’étonnera que les Romains, qui, dans leurs lois et le reste de leur conduite nous paraissent si pleins de sagesse et d’équité, exerçassent sur d’autres Romains, et enfin sur des hommes, les cruautés que nous lisons dans les histoires des martyrs ; que les juges fissent tourmenter les accusés en leur présence, dans la place publique, devant tout le peuple ; et qu’ils employassent des supplices si divers, qu’ils semblent avoir été arbitraires. Peut-être ne sera-t-il pas inutile de voir ce qui était de leurs lois et de leurs mœurs, et ce que le faux zèle de religion et la politique y ajoutaient. Les Romains faisaient publiquement à l’audience tous leurs actes judiciaires, les procès criminels aussi-bien que les civils, l’instruction aussi-bien que le jugement ; et les audiences se tenaient dans la place publique. Le magistrat était sous une galerie couverte, assis sur un tribunal élevé, environné de ses officiers, avec des licteurs portant des haches et des faisceaux de verges, et des soldats toujours prêts à exécuter ses ordres. Car les magistrats romains avaient l’exercice des armes aussi-bien que de la justice. Les peines de chaque crime étaient réglées par les lois, mais différentes selon les personnes ; toujours plus rigoureuses contre les esclaves, que contre les libres, contre les étrangers, que contre les citoyens romains. De là vient que saint Paul fut décapité comme citoyen, et saint Pierre crucifié comme juif. La croix était le plus infâme de tous les supplices ; et ceux qui devaient y être attachés, étaient d’ordinaire battus de verges auparavant, brûlés aux côtés avec des fers rouges ou des flambeaux. La question se donnait aussi en public, et était fort cruelle ; et on y doit rapporter la plupart des tourments des martyrs ; car les lois romaines, comme les nôtres, ne permettaient de tourmenter les accusés qu’à la question, et on employait pour faire nier aux chrétiens leur prétendu crime, les citoyens dont on se servait pour faire avouer aux autres leurs crimes effectifs. La même manière de donner la question par l’extension des membres, le fouet, le fer, et le feu, durait encore sous les empereurs chrétiens. On le voit par l’exemple de saint Eutrope et de saint Tigrius, qui furent ainsi tourmentés sous d’autres prétextes, en haine de saint Chrysostôme.

Il était d’ordinaire de condamner les personnes viles à travailler aux mines, comme aujourd’hui aux galères, ou de les destiner à être exposées aux bêtes dans l’amphithéâtre pour divertir le peuple. Il pouvait y avoir encore divers genres de supplices, usités en diverses provinces ; et on ne peut nier que les magistrats n’en aient souvent inventé de nouveaux contre les chrétiens, principalement dans les dernières persécutions, où le dépit de les voir multiplier s’était tourné en fureur, et où le démon leur suggérait des moyens de tuer les âmes plutôt que les corps. Je ne crois pas qu’il se trouve d’exemple, que l’on ait condamné d’autres que des vierges chrétiennes à être prostituées. L’amour de la chasteté, qui éclatait dans les chrétiens, fit imaginer cette espèce de supplice ; comme aussi celui dont parle saint Jérôme, de ce martyr qui fut attaché mollement sur un lit, dans un lieu délicieux, pour être tenté par une femme impudique, à qui il cracha sa langue au visage. Enfin il y a eu un très-grand nombre de martyrs tués ou tourmentés sans aucune forme de justice, soit par la populace mutinée, soit par leurs ennemis particuliers.

La persécution commençait d’ordinaire par quelque édit, qui défendait les assemblées des chrétiens, et condamnait à certaines peines tous ceux qui ne voudraient pas sacrifier aux dieux. Les évêques s’en donnaient avis, et s’exhortaient les uns les autres à redoubler les prières et à encourager le peuple. Plusieurs alors s’enfuyaient, suivant le conseil de Jésus-Christ. Les pasteurs mêmes et les prêtres se partageaient. Les uns se retiraient, autres demeuraient avec le peuple, et ils se cachaient avec grand soin, parce que c’étaient eux que l’on cherchait le plus, comme ceux dont la perte pouvait causer la dispersion du troupeau. Quelques-uns changeaient de nom, pour n’être pas si aisément reconnus. D’autres se rachetaient de la persécution par de l’argent qu’ils donnaient, pour n’être point inquiétés ; et c’était toujours souffrir en leurs biens, et montrer combien ils estimaient plus leurs âmes. Que s’ils donnaient de l’argent pour avoir des billets, qui fissent croire qu’ils avaient obéi aux édits des empereurs, ils étaient nommés libellatiques, et mis au rang des apostats, comme s’étant avoués tacitement idolâtres.

Les règles de l’Église défendaient de s’exposer de soi-même au martyre, ni de rien faire qui pût irriter les païens, et attirer la persécution ; comme de briser leurs idoles, mettre le feu aux temples, de dire des injures à leurs dieux, ou attaquer publiquement leurs superstitions. Ce n’est pas qu’il n’y ait des exemples de saints martyrs qui ont fait des choses semblables ; et de plusieurs entre autres qui se sont dénoncés eux-mêmes. Mais on doit attribuer ces exemples singuliers à des mouvements extraordinaires de la grâce. La maxime générale était de ne point tenter Dieu, et d’attendre en patience que l’on fût découvert et interrogé juridiquement, pour rendre compte de sa foi. il y avait sur ce point deux hérésies opposées à éviter. Les gnostiques et les valentiniens décriaient le martyre comme inutile, puisque Jésus-Christ est mort pour nous sauver de la mort, ne distinguant pas de quelle mort il nous sauve. Ils disaient même que c’était faire injure à Dieu ; et que, puisqu’il refuse le sang des boucs et des taureaux, il n’y a pas d’apparence qu’il veuille le sang des hommes. Les marcionites, au contraire, s’exposaient au martyre en haine de la chair, et de celui qui l’avait créée, qu’ils disaient être le mauvais principe. On examinait sur ces règles ceux qui étaient morts pour la foi, afin de juger s’ils devaient être honorés comme martyrs. Ce qui semble être l’origine des canonisations.

Quand les chrétiens étaient pris, on les menait devant le magistrat, qui les interrogeait juridiquement assis sur son tribunal. S’ils niaient qu’ils fussent chrétiens, on les renvoyait d’ordinaire sur leur parole ; parce que l’on savait bien que ceux qui ‘étaient véritablement ne le niaient jamais, ou dès-lors cessaient de l’être. Quelquefois, pour s’en assurer, on leur faisait faire sur-le-champ quelque acte d’idolâtrie, ou dire quelque parole injurieuse contre Jésus-Christ. S’ils confessaient qu’ils fussent chrétiens, on s’efforçait de vaincre leur constance ; premièrement par la persuasion et par les promesses, puis par les menaces, et enfin par les tourments. On tâchait de les surprendre, et de leur faire commettre quelque impiété, même involontaire, afin de leur persuader qu’ils ne pouvaient plus s’en dédire. Comme le jugement se faisait dans la place publique, il y avait toujours quelque idole et quelque autel. On y offrait des victimes en leur présence, et on s’efforçait de leur en faire manger, jusqu’à leur ouvrir la bouche pour y porter quelque morceau de chair, ou du moins quelque goutte de vin offert aux faux dieux : et quoique les chrétiens fussent bien instruits, que ce n’est pas ce qui entre dans la bouche, mais ce qui sort du cœur qui rend l’homme impur, ils ne laissaient pas de faire tous leurs efforts, pour ne pas donner le moindre scandale aux faibles. Il s’en est trouvé qui se sont laissé brûler la main, y tenant longtemps des charbons ardents avec de l’encens, de peur qu’ils ne semblassent offrir l’encens en secouant les charbons, comme saint Barlaam, dont saint Basile a fait l’éloge.

Les tourments ordinaires étaient, étendre sur un chevalet par des cordes attachées aux pieds et aux mains, et tirées des deux bouts avec des poulies, ou pendre par les mains avec des poids attachés aux pieds ; battre de verges ou de gros bâtons, ou de fouets garnis de pointes de fer nommés scorpions, ou de lanières de cuir cru, ou garnies de balles de plomb. On en a vu grand nombre mourir sous les coups. D’autres étant étendus, on leur brûlait les côtés, et on les déchirait avec des ongles ou des peignes de fer ; en sorte que souvent on découvrait les côtes et jusqu’aux entrailles ; et le feu entrant dans le corps étouffait les patients. Pour rendre ces plaies plus sensibles, on les frottait quelquefois de sel et de vinaigre, et on les rouvrait lorsqu’elles commençaient à se refermer.

Pendant ces tourments, on interrogeait toujours. Tout ce qui se disait, ou par le juge ou par les patients, était écrit mot pour mot par des greffiers, et il en demeurait des procès-verbaux bien plus exacts que tous ceux que font aujourd’hui les officiers de justice. Car, comme les anciens avaient l’art d’écrire par des notes abrégées, dont chacune signifiait un mot, ils écrivaient aussi vite que l’on parlait, et rédigeaient précisément les mêmes paroles qui avaient été dites, faisant parler directement les personnages, au lieu que, dans nos procès-verbaux, tous les discours sont en tierce personne, et rédigés suivant le style du greffier.

C’étaient ces procès-verbaux qu’ils appelaient actes. Les chrétiens étaient soigneux d’avoir des copies des procès faits à leurs frères, et les achetaient chèrement. Sur ces actes, et sur ce qu’ils observaient de leur côté, les passions des martyrs étaient écrites, et conservées par autorité publique et dans les églises. On dit que le pape saint Clément avait établi à Rome sept notaires, dont chacun avait cette charge en deux quartiers de la ville ; et saint Cyprien, durant la persécution, recommandait de marquer très soigneusement le jour où chacun aurait fini son martyre. Plusieurs de ces actes des martyrs périrent dans la persécution de Dioclétien. Et quoique Eusèbe de Césarée en eût encore ramassé un grand nombre, son recueil a été perdu. Dès le temps du pape saint Grégoire, il ne s’en trouvait plus à Rome ; on avait seulement des catalogues de leurs noms avec les dates de leur bienheureuse mort, c’est-à-dire des martyrologes. Mais il s’était conservé ailleurs quelques actes de martyrs, dont les religieux bénédictins ont donné depuis peu un recueil en latin, sous le nom d’actes choisis et sincères, et j’en ai inséré la plupart dans mon Histoire ecclésiastique.

Dans ces interrogatoires, on pressait souvent les chrétiens de dénoncer leurs complices, c’est à-dire les autres chrétiens, surtout les évêques et les prêtres qui les instruisaient, et les diacres qui les assistaient, et de livrer les saintes écritures. Ce fut particulièrement dans la persécution de Dioclétien, que les païens s’attachèrent à faire périr les livres des chrétiens, étant persuadés que c’était le moyen le plus sûr d’abolir leur religion. Ils les recherchèrent avec grand soin, et en brûlèrent autant qu’ils en purent saisir. Ils allaient même faire perquisition dans les églises et dans les maisons des lecteurs et des particuliers. Sur toutes ces sortes de questions, les chrétiens gardaient le secret aussi religieusement que sur les mystères. Ils ne nommaient jamais personne ; mais ils disaient que Dieu les avait instruits, que Dieu les avait assistés, qu’ils portaient les saintes écritures gravées dans leur cœur. On appelait Traditeurs ou traîtres ceux qui étaient assez lâches pour livrer les saintes écritures, ou pour découvrir leurs frères ou leurs pasteurs. Si les martyrs, pendant les tourments, proféraient quelques paroles, ce n’était guère que pour louer Dieu, et implorer sa miséricorde et son secours.

Après l’interrogatoire, ceux qui persistaient dans la confession du christianisme, étaient envoyés au supplice ; mais le plus souvent on les remettait en prison, pour les éprouver plus longtemps, et les tourmenter à plusieurs fois. Cependant les prisons mêmes étaient une autre espèce de tourments. Les confesseurs de Jésus-Christ étaient enfermés dans les cachots les plus noirs et les plus infects. On leur mettait les fers aux pieds et aux mains. On leur mettait au cou de grandes pièces de bois, ou des entraves aux jambes, pour les tenir élevées ou écartées, le patient étant posé sur le dos. Quelquefois on semait le cachot de petits morceaux de pots de terre ou de verre cassés, et on les y étendait tout nus ou tout déchirés de coups. Quelquefois on laissait corrompre leurs plaies, et on les faisait mourir de faim et de soif. Quelquefois on les nourrissait, et on les pansait avec soin, mais c’était afin de les tourmenter de nouveau. On défendait d’ordinaire de les laisser parler à personne, parce que l’on savait qu’en cet état ils convertissaient beaucoup d’infidèles, souvent jusqu’aux geôliers et aux soldats qui les gardaient. Quelquefois on donnait ordre de faire entrer ceux que l’on croyait capables d’ébranler leur constance : un père, une mère, une femme, des enfants, dont les larmes et les discours tendres étaient une autre espèce de tentation, et souvent plus dangereuse que les tourments. Si une martyre était enceinte, on attendait suivant les lois, qu’elle fût accouchée pour la faire mourir, comme il arriva à sainte Félicité.

Cependant l’église avait un soin particulier de ces saints prisonniers. Les diacres les visitaient souvent pour les servir, pour faire leurs messages, et leur donner les soulagements nécessaires. Les autres fidèles allaient aussi les consoler et les encourager à souffrir. Ils bénissaient leurs peines, et souhaitaient d’y avoir Ils baisaient leurs chaînes, ils pansaient leurs plaies, et leur apportaient toutes les commodités qui leur manquaient, des lits, des habits, des rafraîchissements. Jusque-là que Tertullien se plaignait que l’on faisait bonne chère dans ces prisons. Les fidèles n’épargnaient rien en ces occasions. Si on leur refusait l’entrée, ils tâchaient de gagner par argent les gardes et les geôliers. Ils ne se rebutaient point de leurs mauvais traitements, ils souffraient les injures et les coups, ils demeuraient patiemment aux portes des prisons, jusqu’à y veiller les nuits, attendant le moment favorable de satisfaire leur charité. Quand ils pouvaient entrer, ils regardaient comme des églises ces prisons consacrées par la présence des saints. Ils y faisaient les prières, et les prêtres y allaient célébrer le sacrifice, pour donner aux confesseurs la consolation de ne point sortir du monde sans la protection du corps et du sang de Jésus-Christ, comme parle saint Cyprien. Si c’était un évêque ou un prêtre qui fût en prison, les fidèles s’y assemblaient pour ne pas perdre l’occasion de recevoir l’eucharistie, et de l’emporter dans leurs maisons. En ces rencontres, on mettait tout en usage. On a vu des prélats, faute d’autel, consacrer sur les mains des diacres ; et l’illustre martyr saint Lucien d’Antioche consacra sa poitrine, étant attaché de sorte qu’il ne pouvait se remuer. On peut juger de quel poids étaient les exhortations dont ces messes étaient accompagnées. Toute l’Église respectait ces saints prisonniers, comme étant déjà presque couronnés dans le ciel. Lls avaient grand crédit auprès des prélats, pour obtenir la grâce de ceux qui, par faiblesse, étaient tombés dans l’idolâtrie : jusque-là que l’on fut obligé d’apporter de la modération aux recommandations de quelques-uns, qui avaient plus de zèle que de discrétion. »

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Les calomnies lancées contre les chrétiens

Comment ont débuté les calomnies contre les chrétiens, celles-là même qui ont mené à leur injuste persécution ? Découvrons-le dans l’ouvrage de l’abbé Fleury, « les mœurs des Israélites et des chrétiens » (seconde partie, chapitres XV et XVI).

« C’était dans ces mêmes assemblées que l’on donnait tous les autres sacrements, autant qu’il était possible, et c’est pour cela que les infidèles en étaient exclus avec tant de soin. Car on observait inviolablement ce précepte du Sauveur, de ne point donner aux chiens les choses saintes, et de ne point jeter les perles aux pourceaux. De là vient que l’on nommait les sacrements mystères, c’est-à-dire choses cachées, et que l’on y gardait un secret inviolable. On les cachait non-seulement aux infidèles, mais aux catéchumènes. Non-seulement on ne les célébrait pas devant eux, mais on n’osait même leur raconter ce qui s’y passait, ni prononcer en leur présence les paroles solennelles, ni même parler de la nature du sacrement. On en écrivait encore moins, et si, dans un discours public, ou dans un écrit qui pût tomber en des mains profanes, on était obligé de parler de l’Eucharistie, ou de quelque autre mystère, on le faisait en termes obscurs et énigmatiques. Ainsi dans le nouveau Testament, rompre le pain, signifie consacrer et distribuer l’Eucharistie : ce que les infidèles ne pouvaient entendre. Cette discipline a duré plusieurs siècles après la liberté de l’Église. Il faut seulement excepter les apologies, dans lesquelles les Pères ont expliqué les mystères, pour justifier les chrétiens des calomnies qu’on leur imposait.

Au reste il n’était pas étrange aux païens de voir des secrets dans la religion, ils en faisaient autant pour leurs cérémonies profanes. Ceux qui étaient initiés aux mystères d’Isis, d’Osiris, de Cérès, d’Eleusine ou de Cybèle, ou des dieux de Samothrace, ou d’autres semblables, se croyaient obligés à les cacher sous de grandes malédictions, et passaient pour impies et pour scélérats s’ils venaient à les révéler. Apulée en fournit un exemple fort précis ; et c’est ce qui fait souvent dire à Hérodote, parlant de diverses cérémonies de la religion des Égyptiens et des autres : J’en sais bien la raison mais je n’ose pas la dire.

Ce secret des mystères ne laissait pas d’être un grand sujet de calomnie contre les chrétiens. Car on se cache plus souvent pour le mal que pour le bien ; et il n’était que trop notoire que, dans les autres religions, la plupart des mystères que l’on cachait avec tant de soin, n’étaient que des infamies ; comme dans les cérémonies de Cérès et de Cibèle ; et dans ces sacrifices de Bacchus qui furent défendus par ordre du sénat l’an de Rome 568. La prévention où l’on était contre les chrétiens, faisait aisément présumer que ce qu’ils tenaient si secret, était quelque chose de semblable. Ces soupçons étaient appuyés par les abominations que les gnostiques, les Carpocratiens, et d’autres hérétiques commettaient dans leurs assemblées ; et que l’on a peine à croire, même sur le récit qu’en font les Pères : car les hérétiques portaient tous le nom de chrétiens. Les catholiques mêmes avaient des esclaves païens, à qui la crainte des tourments faisait dire contre leurs maîtres tout ce que voulaient leurs ennemis.

Ainsi se répandit cette fable, que les chrétiens dans leurs assemblées nocturnes tuaient un enfant pour le manger, après l’avoir fait rôtir et couvert de farine, et avoir trempé leur pain dans son sang ; ce qui venait manifestement du mystère de l’Eucharistie mal entendu. On disait encore, qu’après leur repas commun, où ils mangeaient et buvaient avec excès, on jetait un morceau à un chien attaché au chandelier ; que ce chien en sautant renversait la seule lampe qui les éclairait, et qu’ensuite à la faveur des ténèbres, tout ce qu’ils étaient d’hommes et de femmes se mêlaient indifféremment comme des bêtes, selon que le hasard les assemblait. Les Juifs furent les principaux auteurs de ces calomnies ; et quelque absurdes qu’elles fussent, le peuple les croyait, et on était réduit à s’en justifier sérieusement. L’exemple des bacchanales, où deux cents ans auparavant on avait découvert des crimes si horribles, persuadait en général, qu’il n’y avait point d’abomination qui ne pût s’introduire sous prétexte de religion.

On accusait encore les chrétiens d’être ennemis de tout le genre humain, et de la puissance romaine en particulier ; de se réjouir des calamités publiques, de s’affliger du bon succès des affaires, et de souhaiter la ruine de l’empire. Tout cela, sur le fondement de ce qu’ils disaient de la vanité de toute la grandeur temporelle, de la fin du monde et du jugement ; et peut-être sur le rapport indiscret ou malicieux de ce qui est prédit dans l’Apocalypse, touchant la punition de Rome idolâtre, et la vengeance que Dieu ferait un jour du sang des martyrs. Ce qui confirmait cette calomnie, est qu’ils ne prenaient point de part aux réjouissances publiques, qui consistaient en des sacrifices, en des festins et des spectacles, pleins d’idolâtrie et de dissolutions. Au contraire, ils affectaient de passer ces jours-là dans l’affliction et dans la pénitence, en vue des péchés innombrables qui s’y commettaient, et ils se réjouissaient plutôt aux jours que la superstition des païens leur faisait compter pour lugubres et malheureux. Ils fuyaient même les foires, à cause des jeux qui s’y faisaient. S’ils y allaient, c’était pour acheter en passant, quelque chose de nécessaire à la vie, ou quelque esclave, afin de le convertir.

Enfin, c’était assez pour les rendre odieux au peuple, que la profession qu’ils faisaient de détester toutes les religions établies. Ils avaient beau dire qu’ils adoraient en esprit le Dieu créateur du ciel et de la terre, à qui ils offraient continuellement le sacrifice de leurs prières. Le peuple idolâtre n’entendait point ce langage ; il leur demandait le nom de leur Dieu, et les appelait athées, parce qu’ils n’adoraient aucun des dieux que l’on voyait dans les temples, puisqu’ils n’avaient point d’autels allumés, ni de sacrifices sanglants, ni de statues connues du peuple. Les sacrificateurs des idoles, les augures, les aruspices, les devins, en un mot tous ceux dont les professions étaient fondées sur le paganisme, ne manquaient pas de fomenter et d’exciter cette haine du peuple, et d’employer à cet effet les prétendus prodiges et les malheurs qui arrivaient, comme les stérilités, les mortalités, les guerres. Les chrétiens, disaient-ils, attiraient la colère des dieux sur tous ceux qui les laissaient vivre.

Par ces préventions, on empoisonnait jusqu’à leurs vertus. La charité qu’ils avaient les uns pour les autres, était une conjuration odieuse. Les noms de frères et de sœurs qu’ils se donnaient, étaient interprétés en mauvaise part, parce qu’en effet les païens en abusaient pour la débauche. Leurs aumônes passaient pour des moyens de séduire les pauvres, et les attirer à leur cabale, ou pour un effet de l’avarice des prélats, afin d’amasser dans les églises de grands trésors, dont ils pussent disposer. Leurs miracles étaient, disait-on, des maléfices et des impostures de magie. En effet, tout était plein de charlatans, qui se vantaient de prédire l’avenir par diverses sortes de divinations, ou de guérir les maladies par des caractères et des enchantements, par des mots barbares ou des figures extravagantes. Ils faisaient même des choses surprenantes pour tromper les yeux, soit par art, soit par opération du démon. Apollonius de Tyane est un exemple illustre. Ainsi on ne s’étonnait pas trop d’entendre raconter des miracles, ou même d’en voir ; on confondait les vrais avec les faux, et l’on méprisait également tous ceux qui passaient pour en faire. Le pays des apôtres et des premiers chrétiens aidait encore à cette erreur ; car la plupart de ces imposteurs venaient d’Orient.

Les persécutions mêmes étaient un sujet de haine contre les chrétiens. On supposait qu’ils étaient criminels, puisqu’ils étaient partout traités en criminels, et on jugeait de la grandeur de leurs crimes par la rigueur des supplices. On les regardait comme des gens dévoués à la mort, destinés au feu et aux gibets ; on leur en faisait des noms injurieux. Voilà ce qui rendait les chrétiens si odieux au peuple et aux ignorants ; voilà le fondement de ce qu’en disent Suetone et Tacite, suivant l’opinion commune. Suetone dit que l’empereur Claude chassa de Rome les Juifs, qui brouillaient sans cesse à la suscitation de Christ ; comme si Jésus-Christ eût été encore sur la terre, et ce fût rendu chef de parti entre les Juifs. Il compte entre les bonnes actions de Néron, d’avoir fait souffrir des supplices aux chrétiens, gens, ajoute-t-il, d‘une superstition nouvelle et malfaisante.

Tacite parlant du feu que Néron fit mettre à Rome pour se divertir, dit qu’il en accusa des gens odieux par leurs crimes, que le peuple appelait chrétiens : puis il ajoute, ce nom venait de Christ, que Ponce-Pilate avait fait supplicier sous l’empire de Tibère. Et cette pernicieuse superstition, arrêtée pour lors, s’élevait de nouveau, non-seulement par la Judée, source de ce mal ; mais à Rome même, où tout ce qu’il y a de noir et d’infâme dans le monde se rassemble et se pratique. On prit d’abord ceux qui avouaient, puis sur leur rapport une grande multitude fut convaincue, non pas tant de l’incendie, que de la haine du genre humain. Il les traite encore ensuite de coupables, et qui méritaient les derniers exemples.

Les gens d’esprit, et ceux mêmes qui entraient en quelque examen, avaient aussi leurs sujets d’aversion contre les chrétiens ; car ces gens d’esprit étaient des Grecs ou des Romains, accoutumés à mépriser les autres peuples, qu’ils nommaient Barbares, et surtout les Juifs, décriés, depuis longtemps, tenus pour des gens d’une superstition ridicule et d’une sotte crédulité. Un Juif le pourrait croire, dit Horace parlant d’un prodige, mais non pas moi. Ainsi quand on leur disait qu’il y avait des Juifs qui adoraient, comme fils de Dieu, un homme qui avait été pendu, et que leur principale dispute contre les autres Juifs était de savoir, si cet homme était encore vivant après sa mort, et si c’était leur véritable roi ; on peut juger de quelle absurdité leur paraissaient tous ces discours. Ils voyaient que ceux de cette nouvelle secte étaient haïs et persécutés par tous les autres Juifs, jusqu’à exciter souvent de grandes séditions : et de là ils concluaient que c’étaient les pires de tous.

On leur disait de plus, que ces gens n’employaient, pour persuader, ni raisonnements, ni éloquence ; qu’ils exhortaient seulement à croire les faits qu’ils avançaient, et qu’ils prétendaient confirmer par leurs miracles ; que la plupart étaient des ignorants, et n’étudiaient que les livres des Juifs : qu’ils faisaient profession d’instruire les ignorants comme eux, les femmes et le petit peuple ; parce qu’ils les trouvaient bien mieux disposés à recevoir leur doctrine, que les gens plus éclairés. Ce procédé était fort nouveau, car il n’y avait chez les païens aucune sort d’instruction pour le peuple. Les philosophes étaient les seuls qui parlassent de morale, et leurs disputes n’avaient rien de commun avec l’exercice de la religion. Enfin, comme tous les hérétiques passaient sous le nom de chrétiens, on attribuait à toute l’Église les rêveries des Valentiniens, et de tous ces visionnaires que saint Irénée a combattus ; les païens confondaient toutes ces extravagances avec la doctrine catholique, et le christianisme leur paraissait un entêtement de gens ignorants et opiniâtres.

À quoi bon, disaient-ils, quitter les religions établies depuis si longtemps avec de si belles cérémonies par l’autorité de tant de rois et de législateurs, et par le consentement de tous les peuples grecs et barbares, pour embrasser des mœurs étrangères, et vous intéresser à soutenir les fables judaïques ? Encore si vous vous faisiez Juifs tout à fait ; mais quelle extravagance de voûloir servir leur Dieu malgré eux, par un culte nouveau que les Juifs rejettent, et vous appliquer des lois qui ne vous conviennent point ?

Il est vrai que la morale des chrétiens était pure, et que leur vie répondait à leur doctrine. Mais tout était plein de philosophes, qui faisaient aussi profession de pratiquer la vertu ; et de l’enseigner. Il y en eut même plusieurs dans ces premiers siècles de l’Église, qui, peut-être à l’imitation des chrétiens, coururent le monde, prétendant réformer le genre humain, et souffrirent quelques mauvais traitements ; comme Apollonius de Tyane, Musonius, Damis, Epictète. Les philosophes étaient en grand crédit depuis plusieurs siècles ; on croyait qu’ils avaient tout dit, et on ne pouvait s’imaginer que des barbares pussent en savoir plus que Pythagore, Platon, ou Zénon. On croyait plutôt que s’ils avaient quelque chose de bon, ils l’avaient emprunté de ces sages si fameux.

D’ailleurs, les philosophes étaient plus commodes que les chrétiens. La plupart ne rejetaient point le plaisir ; et quelques-uns en faisaient le souverain bien. Ils laissaient chacun suivre son opinion et vivre à sa mode, se contentant de mépriser ceux qui n’étaient pas philosophes, et de s’en moquer. Le nombre des pyrrhoniens était grand. Ceux-ci doutaient de tout, principalement sur l’article de la divinité, si mal éclairci par les philosophes. Ils se faisaient une règle de sagesse de suspendre leur jugement, et trouvaient très mauvais que des ignorants, des gens du commun, tels qu’étaient la plupart des chrétiens, osassent décider sur une matière si relevée. Pour eux, ils faisaient profession de respecter les religions établies. Quelques-uns y croyaient, et donnaient des explications mystérieuses aux fables les plus ridicules ; d’autres, gardant pour eux la connaissance du premier Être, auteur de la nature, laissaient les superstitions à ceux qu’ils estimaient incapables de la sagesse. Les épicuriens mêmes qui se déclaraient le plus ouvertement contre les opinions populaires touchant les dieux, ne laissaient pas d’assister aux sacrifices, et de prendre part aux cérémonies de la religion des lieux où ils se trouvaient. Ils convenaient tous, de ne point combattre les coutumes autorisées par les lois et par les temps.

La créance de la pluralité des dieux s’étendait jusqu’à croire que chaque nation, chaque ville, chaque famille avait les siens, qui en prenaient soin, et voulaient y être honorés d’un culte particulier. Ainsi ils estimaient bonnes toutes religions, pour ceux chez qui elles étaient reçues depuis longtemps. Les femmes et le peuple, léger et ignorant, avaient toujours grande inclination à en embrasser de nouvelles ; croyant que plus ils serviraient de dieux et de déesses, et que plus ils observeraient de diverses cérémonies, plus ils auraient de religion. Les hommes graves et les politiques réprimaient cette inquiétude autant qu’il leur était possible, et ne voulaient aucun changement sur cette matière. Surtout ils condamnaient toutes les religions étrangères, et les Romains en faisaient un point capital de leur politique. Ils persuadaient au peuple que c’était à ses dieux tutélaires que Rome était redevable de ce grand empire, et qu’il fallait bien que ces dieux fussent plus puissants que les autres, puisqu’ils leur avaient soumis toutes les nations du monde. Aussi, quand le christianisme fut entièrement établi, les païens ne manquèrent pas d’attribuer à ce changement la chute de l’empire, qui le suivit d’assez près : et saint Augustin fut obligé de composer son grand ouvrage de la Cité de Dieu, pour répondre à leurs calomnies.

Le mépris que les chrétiens faisaient de la mort, n’étonnait pas beaucoup les païens Ils étaient accoutumés à voir des gladiateurs volontaires, qui, pour un petit intérêt, ou même pour rien, s’exposaient à se faire égorger en plein amphithéâtre. On voyait tous les jours les plus honnêtes gens se tuer eux-mêmes pour le moindre déplaisir, et il y avait des philosophes qui le faisaient par ostentation, comme disent les jurisconsultes. Témoin Pérégrin, dont Lucien rapporte la fin tragique. Ainsi, voyant que les chrétiens fuyaient les plaisirs de cette vie, et n’attendaient de bonheur que dans la vie future, ils s’étonnaient qu’ils ne se tuassent point. On nous dira, dit saint Justin, Tuez-vous donc tous, et vous en allez tout à l’heure trouver Dieu, sans nous embarrasser davantage. Et Antonin, proconsul d’Asie, voyant les chrétiens accourir en foule autour de son tribunal, pour se présenter au martyre, s’écria : Ah misérables ! Si vous voulez mourir, vous avez des cordes et des précipices.

Tout le peuple était donc contre les chrétiens ; le peuple, les magistrats, les ignorants, les savants ; ils étaient haïs des uns comme des imposteurs, des scélérats et des impies ; et méprisés des autres comme des misanthropes, des visionnaires et des fous mélancoliques, qu’une opiniâtreté enragée faisait courir à la mort. La prévention était telle, qu’on les condamnait sur le seul nom de chrétien, sans examiner davantage. Ce nom suffisait pour détruire tout le bien que l’on en savait d’ailleurs : et l’on disait communément : Un tel est un honnête homme, c’est dommage qu’il est chrétien. »

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La modestie et le sérieux des chrétiens

Nos contemporains sont, hélas, peu nombreux à connaître l’histoire authentique des catholiques. Ce mot a tellement été galvaudé qu’il est devenu un terme sans saveur. Cet article, tiré de l’œuvre de l’abbé Fleury « les mœurs des Israélites et des chrétiens » (seconde partie, chapitre XI) contribue à rétablir la vérité sur ce qu’est vraiment le catholicisme. Et quelle belle vérité !

« Tout le reste de la vie des chrétiens était du même air de modestie. Ils ne faisaient cas que de la grandeur et de la noblesse intérieure ; ils n’estimaient que les richesses spirituelles. Ils condamnaient tout ce que le luxe avait introduit dans cette richesse prodigieuse de l’empire romain, comme la dépense en grands bâtiments ou en meubles précieux, les tables d’ivoire, les lits d’argent garnis d’étoffes de pourpre et d’or, la vaisselle d’or et d’argent, ciselée et ornée de pierreries. Voici es meubles que les persécuteurs trouvèrent dans la chambre où sainte Domne, vierge fort riche de Nicomédie, vivait enfermée avec l’eunuque saint Inde : une croix, les Actes des apôtres, deux nattes sur le plancher, un encensoir de terre, une lampe, un petit coffre de bois où ils gardaient le saint Sacrement pour communier.

Les chrétiens rejetaient les habits de couleur trop éclatante ; mais saint Clément d’Alexandrie recommandait le blanc, comme symbole de pureté ; et c’était la couleur ordinaire chez les Grecs et les Romains. Les chrétiens rejetaient aussi les étoffes trop fines, surtout la soie, alors encore si rare qu’elle se vendait au poids de l’or, les bagues, les joyaux, la frisure des cheveux ; les parfums, l’usage trop fréquent des bains, la trop grande propreté ; en un mot, tout ce qui peut exciter l’amour sensuel et la volupté. Prudence compte pour la première remarque de la conversion de saint Cyprien, le changement de l’extérieur, et le mépris de la parure. Apollonius, ancien auteur ecclésiastique, fait ce reproche aux montanistes, en parlant de leurs prétendus prophètes : Dites-moi, un prophète se teint-il le poil ? Aime-t-il les ornements ? Joue-t-il aux dés ? Prête-t-il à usure ? Qu’ils disent si cela est permis ou non : je montrerai qu’ils le font. Un martyr pour convaincre d’imposture un faux chrétien, représentait aux juges que ce trompeur était frisé, et qu’il aimait les barbiers, qu’il regardait les femmes avec trop d’application, qu’il mangeait beaucoup, et sentait le vin. Tout l’extérieur des chrétiens était sévère et négligé, au moins simple et sérieux. Quelques-uns quittaient l’habit ordinaire pour prendre celui de philosophe, comme Tertullien et saint Héraclas disciple d’Origène.

Il y avait peu de divertissements à leur usage. Ils fuyaient tous les spectacles publics, soit du théâtre, soit de l’amphithéâtre, soit du cirque. Au théâtre se jouaient les tragédies et les comédies ; à l’amphithéâtre se faisaient les combats de gladiateurs ou de bêtes ; le cirque était pour les courses de chariots. Tous ces spectacles faisaient partie du culte des faux dieux, et des pompes du démon : c’était assez pour en bannir les chrétiens ; mais ils les regardaient encore comme une grande source de corruption pour les mœurs. On ne doit point aimer, dit Tertullien, les images de ce que l’on ne doit point faire. Le théâtre était une école d’impudicité ; l’amphithéâtre, de cruauté : les chrétiens en étaient si éloignés, qu’ils ne voulaient pas même voir les exécutions de justice. Tous ces jeux fomentaient toutes sortes de passions. Ceux même du cirque qui paraissaient les plus innocents, sont détestés par les Pères, à cause des factions qui y régnaient, et qui produisaient tous les jours des querelles et des animosités furieuses, souvent même des combats sanglants. Enfin ils blâmaient la grande dépense de ces spectacles, l’oisiveté qu’ils fomentent, la rencontre des hommes et des femmes qui s’y trouvent mêlés et disposés à se regarder avec trop de liberté et de curiosité.

Les chrétiens condamnaient aussi les dés et les autres jeux sédentaires, dont le moindre mal est d’entretenir la fainéantise. Ils blâmaient les grands éclats de rire, et tout ce qui les excite : les actions et les discours ridicules, les contes plaisants, les bouffonneries, les badineries ; et à plus forte raison ils rejetaient toutes sortes de gestes et de discours déshonnêtes. Ils ne voulaient pas même qu’il y eût rien dans la vie des chrétiens d’indécent, de bas, et d’indigne d’honnêtes gens ; point de ces discours fades, et de ce babil inutile, si ordinaire au petit peuple, et surtout aux femmes, mais condamné par saint Paul, lorsqu’il dit que nos discours doivent toujours être assaisonnés du sel de la grâce. C’était pour retrancher tous ces maux que l’on recommande si fort le silence.

Cette discipline paraîtra sans doute aujourd’hui bien sévère ; mais on s’en étonnera moins, si l’on considère que les railleurs sont souvent blâmés et maudits dans les saintes écritures, que la vie de Jésus-Christ et de ses disciples a été très sérieuse, et que saint Paul condamne nommément ce que les Grecs nommaient eutrapélie, et dont Aristote avait voulu faire une vertu. C’est ce que l’interprète latin a rendu par le mot de scurrilité, qui l’a fait méconnaître aux docteurs modernes. En effet toute la vie chrétienne consiste à expier les péchés passés par la pénitence, et à se prémunir contre les péchés futurs par la mortification des passions. Le pénitent, pour se punir d’avoir abusé des plaisirs, doit commencer par se priver de ceux même qui sont permis ; et pour éteindre la concupiscence, ou du moins l’affaiblir, il ne faut lui accorder que le moins qu’il est possible. Ainsi un véritable chrétien ne doit jamais chercher le plaisir sensible, mais seulement prendre en passant celui qui se trouve attaché aux fonctions nécessaires de la vie, comme de manger et de dormir. S’il prend quelque divertissement, ce doit être un divertissement véritable, c’est-à-dire un relâchement, un repos, pour satisfaire à la faiblesse de la nature, qui succomberait si le corps travaillait toujours, et si l’esprit était continuellement appliqué. Mais de chercher le plaisir sensible pour le plaisir, et d’en faire sa fin, rien n’est plus contraire à l’obligation de renoncer à nous-mêmes, qui est l’âme des vertus chrétiennes. Le travail du corps ou l’exercice modéré, relâche l’esprit : le simple repos, la nourriture et le sommeil sont suffisants pour remettre le corps ; les yeux ne sont jamais nécessaires. On le voit par l’exemple des pauvres et de tout le peuple, qui travaillent continuellement. Ce sont les riches et les gens de loisir qui cherchent les divertissements pour diminuer l’ennui de leur oisiveté.

Cette disposition sérieuse et mortifiée des vrais chrétiens, se voit par le génie des hérésies de ces premiers temps, qui ne venaient la plupart que d’un excès de sévérité et de haine du corps. Les marcionites, et ensuite les manichéens soutenaient que la chair était mauvaise, comme étant l’ouvrage du mauvais principe : d’où ils concluaient qu’il n’était pas permis d’en manger, ni de la multiplier par la génération, ni d’espérer qu’elle ressuscitât. Ce mépris du corps, cette abstinence et cette continence avaient quelque chose de fort spécieux. Les montanistes ajoutaient plusieurs jeûnes d’obligation à ceux de l’Église, condamnaient les secondes noces, et ne voulaient point de pénitence, ne croyant pas que l’Église eût le pouvoir de relever ceux qui tombaient dans les grands crimes après leur baptême. Qui voudrait aujourd’hui soutenir des erreurs semblables, ne trouverait guère de sectateurs.

Mais quelque sévère que nous paraisse la vie des premiers chrétiens, il ne faut pas nous imaginer qu’elle fût triste. Paul ne leur demandait pas l’impossible, quand il les exhortait à se réjouir. S’ils se privaient des plaisirs violents que recherchent la plupart des hommes, aussi étaient-ils exempts de chagrins et des autres passions qui les tourmentent, puisqu’ils vivaient sans ambition et sans avarice. N’étant point attachés aux biens de la vie présente, ils étaient peu touchés de ses calamités : ils avaient la paix de la bonne conscience, la joie des actions vertueuses, par lesquelles ils s’efforçaient de plaire à Dieu, et surtout l’espérance de l’autre vie, qu’ils regardaient comme proche. Car ils savaient que tout ce monde visible passe promptement, et les persécutions leur paraissaient préliminaires du jugement universel.

Ainsi le soin de la postérité ne les inquiétait pas. Ils souhaitaient à leurs enfants le même bonheur qu’à eux-mêmes de sortir promptement du monde. S’ils les laissaient orphelins, comme il arrivait souvent aux martyrs, ils savaient que l’Église serait leur mère, et qu’ils ne manqueraient de rien. Ils vivaient donc la plupart au jour la journée, du travail de leurs mains, ou de leur revenu, qu’ils partageaient avec les pauvres, sans inquiétude, sans affaires, éloignés non-seulement de tout gain sordide, ou tant soit peu suspect d’injustice, mais encore de tout désir d’amasser et de s’enrichir. Le désordre dont les prélats se plaignaient le plus dans l’intervalle des persécutions, était que les chrétiens acquéraient des immeubles, et cherchaient des établissements sur la terre. Des hommes si détachés de toutes les choses temporelles n’avaient pas un grand goût pour les plaisirs des sens ; et nous ne sommes pas bien chrétiens, si nous n’avons au moins un désir sincère de leur ressembler, Quel plaisir plus grand, dit Tertullien, que le mépris du monde, la vraie liberté, la pureté de conscience, se contenter de peu, ne point craindre la mort ? Vous foulez aux pieds les dieux des Gentils, vous chassez les démons, vous guérissez les maladies, vous demandez des révélations, vous vivez à Dieu. Voilà les plaisirs, voilà les spectacles des chrétiens. »

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La perfection des premiers chrétiens

Voici un bel extrait du magnifique livre de l’abbé Fleury, « les mœurs des Israélites et des chrétiens » (seconde partie, chapitre III) qui parle de la perfection des premiers chrétiens. Les articles suivants seront dédiés au même ouvrage car celui-ci est indispensable pour rétablir la vérité de la beauté du catholicisme. Les sectes anti-catholiques, multiples et variées, ont beaucoup écrit et continue d’écrire des mensonges qui sautent aux yeux dès lors que l’on connaît la sainteté du christianisme. L’ouvrage de l’abbé Fleury devrait être connu de tous afin de faire taire ceux qui passent leur temps à calomnier le catholicisme.

« Mais revenons à ceux qui furent instruits et gouvernés immédiatement par les apôtres, et particulièrement à cette église de Jérusalem que Jésus-Christ avait commencé d’édifier de ses propres mains sur le fondement de la synagogue, et qui a été non-seulement le modèle, mais la tige et la source de toutes les autres. Voyons comment l’Écriture nous dépeint ces premiers fidèles.

Ils persévéraient dans la doctrine des apôtres, dans la communion de la fraction du pain et dans les prières ; Et ensuite : Ceux qui croyaient, étaient tous unis ensemble ; et tout ce qu’ils avaient, était commun. Ils vendaient leurs possessions et leurs biens, et ils les distribuaient à tous, selon le besoin de chacun. Ils continuaient d’aller tous les jours, avec union d’esprit, dans le temple ; et rompant le pain par les maisons, ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, louant Dieu, et étant aimés de tout le peuple. Et ailleurs : Toute la multitude de ceux qui croyaient, n’était qu’un cœur et qu’une âme, et aucun d’eux ne s’appropriait rien de tout ce qu’il possédait ; mais ils mettaient tout en commun. Il n’y avait point de pauvres parmi eux, parce que tous ceux qui avaient des terres ou des maisons les vendaient et en apportaient le prix. Ils le mettaient aux pieds des apôtres, et on le distribuait à chacun selon son besoin. Et encore ailleurs : il se faisait beaucoup de miracles et de prodiges parmi le peuple, par les mains des apôtres, et ils étaient tous d’un même esprit dans la galerie de Salomon. Aucun des autres n’osait se joindre à eux ; mais le peuple leur donnait de grandes louanges : et le nombre de ceux qui croyaient au Seigneur, tant des hommes que des femmes, s’augmentait de plus en plus.

Le sommaire de cette description est l’instruction, la prière, la communion, l’union des cœurs, la communication des biens temporels, la joie en eux-mêmes et au dehors, le respect, l’estime, l’amour du peuple. Cette église était composée de gens de tout sexe, de tout âge, et de toutes conditions, et fut très nombreuse en peu de temps. Il se convertit trois mille personnes à la première prédication de saint Pierre, et cinq mille à la seconde. Il est dit plus d’une fois que le nombre des fidèles croissait de jour en jour ; et saint Jacques parlant à saint Paul vers l’an 38, fait entendre selon le grec, qu’ils étaient plusieurs fois dix mille. La plupart étaient mariés, car la continence parfaite avait été rare jusqu’alors ; et ils logeaient séparément, puisqu’il est dit que l’on allait par les maisons rompre le pain, c’est-à-dire consacrer et distribuer la sainte eucharistie. Toutefois ils vivaient en commun, réduisant tous leurs biens en argent, que les apôtres, et ensuite les sept diacres distribuaient à chacun selon son besoin, avec tant de fidélité et de prudence, qu’il n’y avait point de pauvres.

Voilà donc un exemple sensible et réel de cette égalité de biens, et de cette vie commune, que les législateurs et les philosophes de l’antiquité avaient regardées comme le moyen le plus propre à rendre les hommes heureux ; mais sans y pouvoir atteindre. C’était pour y parvenir, que Minos, dès les premiers temps de la Grèce, avait établi en Crète des tables communes, et que Lycurgue avait pris tant de précautions pour bannir de Lacédémone le luxe et la richesse. Les disciples de Pythagore mettaient leurs biens en commun, et contractaient une société inséparable, nommée en grec, Coinobion, d’où sont venus les cénobites. Enfin Platon avait poussé cette idée de communauté jusqu’à l’excès, voulant ôter même la distinction des familles. Ils voyaient bien que, pour faire une société parfaite, il fallait ôter le tien et le mien, et tous les intérêts particuliers ; mais ils n’avaient que des peines pour contraindre les hommes, ou des raisonnements pour les persuader. Il n’y avait que la grâce de Jésus-Christ qui pût changer les cœurs, et guérir la corruption de la nature. »

Les Juifs, comme mieux instruits par la loi de Dieu, avaient chez eux des exemples plus parfaits de la vie commune. C’étaient les esséniens et les thérapeutes. Il n’y avait des esséniens qu’en Palestine, et au nombre de quatre mille ou environ. Ils demeuraient à la campagne, s’occupant au labourage et aux métiers innocents, vivant en commun et pauvrement. La plupart renonçaient au mariage. Ils s’appliquaient à la prière et à l’étude de la loi, principalement les jours de sabbat. Mais ils croyaient au destin et à la divination, et étaient les plus superstitieux de tous les Juifs. Les thérapeutes étaient répandus en divers lieux, mais la plupart vivaient en Égypte vers Alexandrie. Ils étaient plus solitaires et plus contemplatifs que les esséniens, ne s’occupant que de la prière, de la lecture et de la méditation de la loi. Ordinairement ils ne mangeaient que du pain ; et le soir, ils s’assemblaient le jour du sabbat et à la Pentecôte, pour prier et manger ensemble. On peut voir dans Philon, et dans Josèphe un plus grand détail de la vie des uns et des autres. Que si l’on pouvait vivre ainsi sous l’état de la loi qui n’amenait rien à la perfection, il ne faut pas s’étonner que l’on ait pratiqué les mêmes vertus, et encore plus purement sous l’état de la grâce ; et c’est ce que nous voyons dans cette église de Jérusalem, ensuite par toutes les églises, dans les monastères et les autres communautés religieuses.

La source de cette communication de biens entre les chrétiens de Jérusalem, était la charité, qui les rendait tous frères, et les unissait comme en une seule famille, où tous les enfants sont nourris des mêmes biens par les soins du père, qui, les aimant tous également, ne les laisse manquer de rien. Ils avaient toujours devant les yeux le commandement de nous aimer les uns les autres, que Jésus-Christ avait répété tant de fois, particulièrement la veille de sa passion, jusqu’à dire que l’on reconnaîtrait ses disciples à cette marque. Mais ce qui les obligeait à vendre leurs héritages, et à réduire tout en argent comptant, était le commandement du Sauveur, de renoncer à tout ce que l’on possède. Ils voulaient le pratiquer, non-seulement dans la disposition du cœur, à quoi se réduit l’obligation de ce précepte, mais encore dans l’exécution réelle, suivant ce conseil : Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, et viens me suivre. Car on est bien plus assuré de n’être point attaché à ce que l’on a quitté effectivement, qu’à ce que l’on garde encore. De plus, ils savaient que le Sauveur avait prédit la ruine de Jérusalem, et qu’il en avait marqué le temps, avant que cette génération fût passée ; ainsi ils ne voulaient rien avoir qui les attachât à cette malheureuse ville, ni à cette terre qui devait être désolée.

La vie commune entre tous les fidèles, était donc une pratique singulière de cette première église de Jérusalem, convenable aux personnes et au temps. Car il semble difficile, parlant humainement, qu’une église si nombreuse eût pu subsister longtemps sans fonds et sans revenus assurés ; et nous voyons par les Actes et par les Épîtres de saint Paul, qu’elle avait besoin du secours des autres églises, et que de toutes les provinces on envoyait des sommes considérables pour les saints de Jérusalem. Et toutefois, saint Chrysostôme, si longtemps après, ne feint point de proposer encore cette manière de vie, comme un exemple imitable, et comme un moyen de convertir tous les infidèles. Il est à croire que ces saints de Jérusalem travaillaient de leurs mains, à l’exemple de Jésus-Christ et des apôtres ; car nous ne saurions leur attribuer rien de trop parfait ; et c’était encore un moyen considérable de suppléer au défaut des revenus.

Il est dit qu’ils persévéraient dans la doctrine des apôtres, et ils sont souvent nommés disciples ; c’est-à-dire qu’ils s’appliquaient à étudier la doctrine du salut ; soit en écoutant les apôtres, qui leur parlaient souvent en public et en particulier, et leur enseignaient tout ce qu’ils avaient appris du Seigneur ; soit en lisant les saintes Écritures, et en conférant les uns avec les autres. Il est dit, qu’ils persévéraient dans la prière, et qu’ils allaient tous les jours au temple s’assembler dans la galerie de Salomon, et y prier d’un même esprit. L’exemple de saint Pierre et de saint Jean, qui allèrent au temple à l’heure de la prière de none, fait croire qu’ils observaient dès lors les mêmes heures que l’Église a toujours gardées depuis. Ils vivaient à l’extérieur comme les autres Juifs, pratiquant toutes les cérémonies de la loi, et offrant même les sacrifices ; ce qu’ils continuèrent tant que le temple subsista ; et c’est ce que les Pères ont appelé, enterrer la synagogue avec honneur.

Après la prière, l’Écriture marque la fraction du pain, qui signifie l’eucharistie, comme en plusieurs autres passages du nouveau Testament. On célébrait ce mystère, non pas dans le temple, où l’on n’avait pas assez de liberté, parce que les chrétiens y étaient mêlés avec les Juifs, mais dans les maisons particulières, entre les seuls fidèles ; et il était suivi, comme les sacrifices pacifiques, d’un repas dont l’usage continua longtemps entre les chrétiens, sous le nom d’Agape qui signifie charité. Il est dit que ces repas étaient accompagnés d’allégresse et de simplicité de cœur. En effet, tous ces fidèles étaient des enfants par l’humilité, la pureté et le désintéressement. En renonçant au bien et aux espérances du siècle, ils avaient retranché la matière des passions et des chagrins de la vie ; et ils n’étaient occupés que de l’espérance du ciel, et du règne de Jésus-Christ, qu’ils regardaient comme proche. Que si nous ne pouvons lire sans admiration le peu que l’Écriture nous dit de cette première église, il ne faut pas nous étonner qu’elle fût si aimée et si révérée de ceux qui en étaient les spectateurs. Elle subsista à Jérusalem pendant près de quarante ans sous la conduite des apôtres, et particulièrement de saint Jacques son évêque ; jusqu’à ce que les fidèles, voyant approcher la punition de cette malheureuse ville, suivant la prédiction du Sauveur, se séparèrent des Juifs infidèles, et se retirèrent à la petite ville de Pella, où ils se conservèrent pendant le siège. »

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L’importance de l’autorité des anciens

Plus particulièrement depuis le début du XXIe siècle, les personnes âgées sont systématiquement déclassées : on s’en débarrasse dès que possible en les plaçant en maison de retraite ou dans d’autres endroits que le restant de la population ne saurait voir. Or, leur sagesse pourrait être utilisée pour redresser l’état de décadence dans lequel est plongé notre civilisation. Encore une fois, le déclassement des aînés sous-entend une volonté de conserver au pouvoir une classe élitiste au détriment des autres. Ce mouvement tend plus généralement à l’instauration d’une gouvernance mondiale tyrannique à l’image d’un cruel empereur païen tel que Néron.

Lisons ce que dit l’abbé Fleury à propos des vieillards dans son ouvrage « les mœurs des Israélites et des chrétiens » (partie I, chapitre XXV, page 129 à 131).

« Non-seulement les pères, mais tous les vieillards avaient une grande autorité chez les Israélites et chez tous les peuples de l’antiquité. Partout on a d’abord choisi les juges des affaires particulières, et les conseillers du public, entre les hommes les plus âgés. De là vinrent à Rome les noms de sénat et de pères ; et ce grand respect pour la vieillesse, qu’ils avaient pris des Lacédémoniens. Rien n’est plus conforme à la nature. La jeunesse n’est qu’au mouvement et à l’action ; la vieillesse sait instruire, conseiller et commander. La gloire des jeunes gens est leur force, dit le Sage (Prov .2o. 29.), et la dignité des vieillards sont leurs cheveux blancs. Il est difficile qu’en un jeune homme, l’étude ou la bonté de l’esprit supplée à l’expérience ; et un vieillard, pourvu qu’il ait un bon sens naturel, est savant par l’expérience seule. Toutes les histoires font foi que les états les mieux gouvernés ont été ceux où les vieillards ont eu la principale autorité, et que les règnes des princes trop jeunes ont été les plus malheureux. C’est ce que dit le Sage (Eccl. 19.16.) : Malheur à la terre dont le roi est un enfant : et c’est ce malheur dont Dieu menace les Juifs, quand il leur fait dire par Isaïe (Isa. 5.4.), qu’il leur donnera des enfants pour princes. En effet, la jeunesse n’a ni patience, ni prévoyance ; elle est ennemie de la règle, et ne cherche que le plaisir et le changement.

Dès que les Hébreux commencèrent à former un peuple, ils furent gouvernés par les vieillards. Quand Moïse vint en Égypte leur promettre la liberté de la part de Dieu, il assembla les anciens, et fit en leur présence les miracles qui étaient les preuves de sa mission (Exod. 4. 29.). Tous les anciens d’Israël vinrent au festin qu’il fit à son beau-père Jethro (Exod. 18. 12.). Quand Dieu lui voulut donner un conseil pour le soulager dans la conduite de ce grand peuple (Num. 11. 16.) : Choisissez, lui dit-il, soixante-dix hommes que vous connaissiez, pour être les anciens et les intendants du peuple. Ils étaient donc déjà en autorité avant que la loi fût donnée, et que l’État eût pris sa forme. Dans toute la suite de l’Écriture, toutes les fois qu’il est parlé des assemblées et des affaires publiques, les anciens sont toujours mis au premier rang, et quelquefois ils sont nommés seuls.

De la vient l’expression du psaume (Ps. 106. 32.), qui exhorte à louer Dieu dans l’assemblée du peuple, et dans la séance des vieillards, c’est-à-dire le conseil public. Ce sont les deux parties qui composaient toutes les anciennes républiques : l’assemblée, que les Grecs nommaient Ecclesia, et les Latins Concio, et le sénat. Les noms d’anciens ont passé par la suite en titres de dignité ; du mot grec est venu le nom de prêtre, et du mot latin le nom de seigneur (3. Reg. 12. 8. 2. par. 12. 13.). On peut juger de l’âge que demandaient les Hébreux, pour compter un homme entre les vieillards, par le titre de jeunes gens donné à ceux dont Roboam suivit le conseil. Car il est dit qu’ils avaient été élevés avec lui, d’où on peut conclure qu’ils étaient environ de son âge ; et il avait alors quarante ans. »

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L’anéantissement de l’autorité paternelle

Les conséquences de la destruction du rôle de la paternité sont terribles sur la civilisation. Mais savons-nous pourquoi ? Après la lecture d’un extrait du livre « les mœurs des Israélites et des chrétiens » de l’abbé Fleury, nous comprenons, en faisant le parallèle avec la civilisation moderne, que l’anéantissement de l’autorité paternelle renforce la tyrannie de ceux qui souhaitent obtenir le pouvoir à travers une gouvernance mondiale. En effet, la disparition de l’autorité du chef de famille a sa part de responsabilité dans le chaos civilisationnel. Ce même désordre renforce, d’un point de vue stratégique, l’idée fallacieuse qu’il faille instaurer un gouvernement mondialisé de type élitiste et dictatorial, afin de restaurer l’ordre perdu. Ce sont là d’effroyables théories messianiques qui sont prêtes à émerger lorsque la peur aura suffisamment secoué les nations, mais est-ce que la multitude en a seulement conscience ?

Découvrons sans plus tarder l’extrait du livre de l’abbé Fleury (partie I, chapitre XXIV, page 128 à 129).

« Quant à la puissance paternelle des Hébreux, la loi leur permettait de vendre leurs filles (Eccl, v .2.7. Percoemptionem. 2.Est. v, 2.5.Isa, 1.) : mais cette vente était une espèce de mariage, comme il y en eut chez les Romains. Nous voyons toutefois par un passage d’Isaïe, que les pères vendaient leurs enfants à leurs créanciers : et du temps de Néhémias, les pauvres proposaient de vendre leurs enfants, pour avoir de quoi vivre : et d’autres se plaignaient de n’avoir pas de quoi racheter leurs enfants déjà réduits en servitude. Ils avaient droit de vie et de mort sur leurs enfants, puisque le sage dit (Prov. 19. 12.) : Corrigez votre fils sans perdre l’espérance ; mais ne vous aheurtez pas à le faire mourir. Il est vrai qu’ils n’avaient pas la liberté comme les Romains d’exercer ce droit si rigoureux de leur autorité privée sans la participation du magistrat (Lev. lib. 2.). La loi de Dieu permettait seulement au père et à la mère, après avoir essayé toutes les corrections domestiques, de dénoncer au sénat de la ville leur fils désobéissant et débauché ; et sur leur plainte, il était condamné à mort, et lapidé (Deut. 2 1. 19.). Cette même loi fut pratiquée à Athènes (Heliod. Iv ) : et elle était fondée sur ce que les enfants tiennent la vie de leurs pères, et que l’on supposait qu’il s’en trouverait point d’assez dénaturés pour faire périr leurs enfants, s’ils ne commettaient des crimes horribles. Cependant cette crainte était très utile, pour tenir les enfants dans une entière soumission.

Nous ne voyons que trop les maux qui sont venus d’avoir laissé affaiblir, ou plutôt anéantir la puissance paternelle. Quelque jeune que soit un fils, sitôt qu’il est marié, ou qu’il a le moyen de subsister sans son père, il prétend ne lui devoir plus qu’un peu de respect. De-là vient la multiplication infinie des petites familles, et des gens qui vivent seuls, ou dans les maisons publiques, dans lesquelles tous sont également maîtres. Ces jeunes gens indépendants, s’ils sont riches, se plongent dans la débauche, et se ruinent ; s’ils sont pauvres, ils deviennent des vagabonds et des gens sans aveu, capables de toutes sortes de crimes. Outre la corruption des mœurs, cette indépendance peut aussi causer de grands maux dans l’État ; car il est bien plus difficile de gouverner une multitude d’hommes, séparés et indociles, qu’un petit nombre de chefs de famille, dont chacun répondait d’un grand nombre d’hommes, et était d’ordinaire un vieillard instruit des lois. »

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