La loi du 1er juillet 1901 n’est pas, comme le fait croire la bien-pensance, une loi libérale, mais, bel et bien la déchristianisation de la France par la mise à mort des Congrégations religieuses. Les journaux catholiques de l’époque, créés par les assomptionnistes, étaient particulièrement visés parce qu’ils maintenaient la foi dans sa pureté rigoureuse.
Retrouvons sans plus tarder le cheminement de cette redoutable loi 1901, précurseur de toutes les ignominies qui affligent actuellement la France.
La « croix quotidienne » (page 78)
La question d’un journal quotidien populaire s’était donc présentée plusieurs fois dans des conversations entre le P. Picard et le P. Vincent de Paul Bailly. L’Univers, grand journal de doctrine, occupait une place illustre, la première, dans la presse religieuse ; mais, par la haute tenue de sa rédaction et aussi par son prix élevé, il s’adressait à une élite et ne visait pas les masses. Or, c’est le grand public qu’on voulait atteindre, et il fallait pour cela un journal d’information populaire et très bon marché.
M. le comte Henri de l’Épinois, qui donnait à la Croix-Revue une collaboration active autant que savante, mais qui n’en avait pas moins un grand souci d’apostolat populaire, insistait souvent auprès du P. Picard pour qu’il se décidât enfin à lancer un journal quotidien d’information à un sou.
Le projet mûrissait dans l’esprit du P. Picard, et bientôt, s’étant rendu compte qu’avec le P. Bailly l’œuvre pouvait réussir, il ne fut plus arrêté que par un scrupule de délicatesse ; il craignait de paraître achever un journal catholique, la France Nouvelle, qui était justement un journal à un sou. Comme cette feuille agonisait ou à peu près, il ne voulait point avoir l’air de lui donner le coup de grâce en lui créant un concurrent. Et il disait à M. le comte de l’Épinois :
« Si la France Nouvelle disparaît, je vous promets que nous lancerons un journal quotidien à un sou. »
Le 7 mars 1883, le P. Bailly s’embarquait pour Jérusalem, où il conduisait 500 pèlerins de la Pénitence. On devait prier aux Saints Lieux pour l’œuvre projetée.
Après le retour du pèlerinage, Don Bosco se trouvait à Paris. Il visita longuement le P. Picard, car entre les deux hommes de Dieu existaient d’anciennes et intimes relations. Le P. Picard invita Don Bosco à déjeuner avec lui et quelques amis, à Grenelle, chez les Petites-Sœurs de l’Assomption, le 20 mai 1883.
On sortait de table, et le P. Picard descendait du premier étage, appuyé sur le bras du P. André, lorsque, arrivé à la troisième marche de l’escalier, il rencontre le comte de l’Épinois qui montait et qui lui dit :
« Mon Père, vous m’avez promis de fonder, à la mort de la France Nouvelle, un journal quotidien à un sou. Or, la France Nouvelle cesse aujourd’hui sa publication, et je viens vous demander si vous êtes prêt à tenir votre promesse. J’ai couru vous relancer jusqu’ici. »
Le P. Picard répond :
« Je n’ai qu’une parole, et j’accepte en principe. Mais venez dîner ce soir chez nous, rue François-1er, avec le P. Bailly et moi, et nous verrons ce qu’il est possible de faire. »
M. de l’Épinois fut fidèle au rendez-vous. On causa longuement, et la question fut examinée sous toutes ses faces. À cet entretien assistaient le P. Picard, le P. Vincent de Paul, le P. André et M. le comte de l’Épinois.
On débattit le titre du nouveau journal. Plusieurs furent proposés : le Catholique, le Crucifix. On s’arrêta à celui de la Croix avec l’image du Crucifix. Toutes les objections qui surgirent plus tard contre ce titre et cette image avaient été prévues et discutées ce soir-là, et on avait résolu de passer outre. Il fut convenu que le journal serait uniquement catholique, sans attaches politiques d’aucune sorte, qu’il ne publierait ni romans ni annonces. Finalement, on vota, et à l’unanimité la création du journal quotidien à un sou fut résolue, avec son titre la Croix.
On arrêta aussi les moyens d’exécution. Le vendredi 1er juin, fête du Sacré Cœur, fut choisi pour lancer un numéro spécimen dont le P. Picard rédigerait le premier article. En même temps, le P. Bailly annoncerait le nouveau journal dans le Pèlerin et inviterait ses lecteurs à souscrire des abonnements à la Croix. Si le 15 juin on avait assez d’argent pour le premier numéro, on commencerait résolument, s’en remettant pour la suite à la Providence.
…/…
L’annonce de la Croix quotidienne fut accueillie avec un véritable enthousiasme. Au bout de quinze jours, elle avait 5000 abonnés. Elle parut, confiante dans l’avenir. Pour la taquiner, le gouvernement la menaça d’un procès parce qu’elle disait se vendre « un sou », terme exclu du système métrique. Ce fut l’occasion de dix désopilantes caricatures de Lemot dans la Croix.
La Croix du 29 juin 1883 portait, en effet, la manchette : « un ordre nous ayant interdit de mettre ici que le journal se vend un sou, nous avertissons que désormais il se vendra cinq centimes.
Le premier article du même jour, intitulé Un sou, encadré de noir, explique que, la veille, le substitut de la République a fait appeler le gérant pour lui annoncer qu’il allait être obligé de poursuivre la Croix à cause de ce mot, et l’article se termine ainsi :
« Eh bien ! Nous nous soumettons ; nous ôtons le sou, car si le sou a pour lui le bon sens, il n’est pas un principe que nous ayons juré de défendre. Inscrivons donc cette sotte désignation : cinq centimes, que le peuple n’aura jamais la sottise de prendre, parce qu’il appelle les choses par leur nom et parce qu’en écrivant sur un journal cinq centimes, vous ne l’empêcherez jamais de dire que c’est un journal à un sou. »
Le P. Vincent de Paul fut le rédacteur en chef de la Croix ; il en fut l’âme, il en fut la vie. Presque tous les jours il en rédigea le premier article, qu’il signait du pseudonyme devenu célèbre « Le Moine ».
Désormais la Croix et « Le Moine » ne semblent plus faire qu’un, c’est le P. Bailly qui lui imprime cette allure surnaturelle, originale, alerte, vigoureuse, qui plaît par sa crânerie, attire et encourage. Il avait pour principe qu’un organe catholique, si moderne soit-il, agit selon la vieille tradition des âges de la foi, lorsqu’il cherche à plaire et à faire rire à l’occasion. Il ne redoutait pas un bon mot au milieu d’un sujet sérieux, mais il redoutait énormément une faiblesse dans l’affirmation de la foi. Comme dans le Pèlerin, il heurtait le diable sans détour.
Il eut sans doute quelques collaborateurs, mais fort peu, et tout le journal passait réellement par ses mains. Dès l’origine, un de ses collaborateurs fut chargé de préparer pour le journal ce que le P. Bailly appelait le « menu spirituel ». C’était un trait de la vie des saints assaisonné de quelques réflexions pieuses pouvant servir de méditation.
Celui qui l’aida le plus dans les débuts fut M. le comte de l’Épinois. Le P. Picard, en fondant la Croix, avait mis comme condition que M. de l’Épinois viendrait aider le P. Bailly pendant trois mois.
Le crucifix (page 81)
Le succès de la Croix fut tellement rapide, tellement surprenant, que, quelles que fussent la valeur de sa rédaction et la sagesse, discutée du reste, de son administration, ce sujet ne pouvait être attribué qu’à une protection surnaturelle.
C’était visible : Dieu récompensait l’acte de foi qui avait inspiré le journal, le but uniquement apostolique qu’il poursuivait. Le drapeau qu’il arborait lui portait bonheur.
On en eut bientôt une preuve manifeste. Il se rencontra, en effet, des catholiques timides qui se scandalisèrent de voir un grand Christ en tête d’un journal. Ils commencèrent par prédire des insuccès. D’après ces sages, le Christ devait tuer la Croix. Puis ils se lamentèrent et se fâchèrent. Cet ornement ne convenait pas, disait-on, à une feuille exposée à traîner partout. C’était une profanation.
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